Interview des créateurs de Ponoc, studio à l’origine de Mary et la fleur de la sorcière

Le fondateur et le premier réalisateur du studio Ponoc expliquent comment ils ont construit une entreprise à partir de rien pour ramener l’animation japonaise aux débuts de Ghibli.

Je vous propose une traduction d’une interview de Yoshiaki Nishimura (producteur) et Hiromasa Yonebayashi (réalisateur) réalisée par Tasha Robinson pour le site The Verge.

Lorsque le producteur Yoshiaki Nishimura a parlé pour la première fois au réalisateur Hiromasa Yonebayashi du projet qui allait devenir le film d’animation Mary et la fleur de la sorcière, Yonebayashi avait des réserves. « J’ai hésité un peu », a indiqué le réalisateur à The Verge, « Parce que je pensais que cela pouvait être comparé au film Kiki la petite sorcière réalisé par Hayao Miyazaki, qui parlait aussi d’une jeune sorcière. »

C’est une préoccupation valable. La protagoniste du film, Mary, est une sorcière rousse énergique qui est assez différente de Kiki dans le film de Miyazaki. Mais les deux films sont des petites filles volant sur un balai avec leurs inséparables chats noirs. Et Mary et la fleur de la sorcière, basée sur The Little Broomstick de Mary Stewart, ressemble à un projet du Studio Ghibli.

Mais ce n’est pas un hasard et Nishimura et Yonebayashi viennent honnêtement avouer cet héritage. Ce sont tous les deux des vétérans de longue date de Ghibli qui se sont séparés du studio quand Takahata et Miyazaki ont annoncé leur retraite et que le studio s’est éloigné de l’animation . Nishimura et Yonebayashi ont apporté le style visuel et la sensibilité narrative de la maison Ghibli dans leur nouvelle entreprise, le Studio Ponoc, qui a été lancée avec leur premier film Mary et la fleur de la socière. Pour les fans de Ghibli, c’est un grand soulagement que de voir la sensibilité et le talent du studio se poursuivre, avec un grand nombre de ses créateurs qui rejoignent le studio Ponoc pour continuer leur travail.
Mais il y avait beaucoup de risques financiers et artistiques impliqués dans le démarrage du studio. Yonebayashi compare leur aventure à celui de la protagoniste du nouveau film, une jeune fille qui gagne et perd ensuite des pouvoirs magiques, et décide finalement de poursuivre avec ses talents humains à la place de la magie. « Cela ressemblait à ce à quoi nous étions confrontés en quittant le monde magique du Studio Ghibli et en tant que personnes individuelles pour faire un nouveau film au Studio Ponoc », dit-il. « Je pensais que c’était très significatif en tant que premier film que nous allions faire. »



Comment s’est déroulé le processus de rapprochement de Studio Ponoc ?

Yoshiaki Nishimura: Ce fut une période difficile pour nous pendant trois ans. Nous étions au studio Ghibli jusqu’à la fin 2014. Et puis deux ans et demi plus tard, nous devions terminer un long métrage, à partir de zéro, essentiellement. Et les deux principales difficultés étaient que nous n’avions pas la marque Studio Ghibli, parce que notre nouveau studio n’était pas connu, et donc essayer de collecter le financement était difficile. Nous avons dû travailler avec un budget plutôt réduit. Et au studio Ghibli, il y avait 150 à 200 créateurs avec un environnement merveilleux, avec du matériel, des logiciels, des ordinateurs, des serveurs, tous installés dans le studio de production lui-même. Alors que nous devions partir de zéro et construire cet environnement et l’équipement pour notre production.
Nous avons commencé avec deux ou trois personnes. Mais à la fin, nous étions 450 créatifs travaillant sur le film. Dans ces limites, nous devions viser la qualité et un contenu similaire aux films réalisés par le Studio Ghibli. La barre était finalement assez haute.

Lire aussi :   Mary et la fleur de la sorcière, Ghibli a apprécié le film

Pourquoi cette histoire particulière ? Quel était le but final ?

Yoshiaki Nishimura: Pour faire ce premier film pour le studio, nous avons pensé qu’il serait mieux de faire un film à l’opposé de Souvenirs de Marnie, le dernier film réalisé par Yonebayashi au Studio Ghibli. Souvenirs de Marnie parle d’une fille tranquille dont la lutte est intérieure. C’est un film très calme. Mais le talentueux réalisateur Yonebayashi, a acquis du réalisateur Hayao Miyazaki au Studio Ghibli, dessine une action dynamique en tant qu’animateur. Donc, l’idée était d’avoir une fille très énergique se déplaçant d’une manière très fantastique dans un monde fantastique. Donc le sujet que nous avons choisi était une sorcière.
J’ai lu de nombreux livres pour enfants et des livres pour jeunes adultes à la recherche de projets à réaliser. Dans beaucoup d’entre eux, quand un personnage de sorcière est confronté à des difficultés , il utilise la magie pour résoudre le problème. Le livre Little Broomstick était la seule histoire où l’héroïne rejette la magie à un moment crucial, au point le plus difficile. La morale du livre est quelque chose comme : «Je ne vais pas utiliser la magie pour ouvrir cette porte. Je vais utiliser mes propres pouvoirs. Je pense que c’était merveilleux pour le premier concept du film, parce que nous avons quitté le parapluie magique du Studio Ghibli, et maintenant nous devons marcher avec notre propre force et nos propres capacités. Donc, cela correspond à la situation que le réalisateur Yonebayashi et moi-même en tant que producteur et d’autres anciens créateurs de Studio Ghibli avons rencontré.

Quel genre d’opportunités avez-vous eu en terme de structuration de votre nouvelle entreprise ou de nouvelles technologies ou méthodes d’animation ?

Yoshiaki Nishimura: Il y avait certaines choses que nous pouvions et ne pouvions pas faire au Studio Ghibli. Fondamentalement, tous les projets ont été décidés par les deux directeurs fondateurs, Isao Takahata et Hayao Miyazaki. Ils ont développé des projets, puis les ont assignés au personnel. Je n’étais pas insatisfait de ça, ni de travailler au studio. Mais maintenant que nous sommes seuls, nous devons commencer les projets à partir de zéro, dès le départ. Cela nous donne l’occasion de vraiment travailler sur des choses à partir de la base.
En ce qui concerne les types d’histoires qui ont été faites au Studio Ghibli vers la fin, les deux réalisateurs s’entendaient déjà depuis des années. Miyazaki a eu 76 ans, et Takahata vient d’avoir 82 ans. Là-bas, beaucoup de projets étaient des histoires de séparation. Le conte de la princesse Kaguya et Le vent se lève reflétaient l’étape de la vie des réalisateurs, traitant des problèmes de la vie et de la mort. Ces histoires se résolvent en se séparant. Quand ils étaient plus jeunes, dans la trentaine et la quarantaine, ils traitaient différents types de sujets avec des rencontres animées.
Donc, avec ce nouveau film, le réalisateur Yonebayashi et moi-même nous voulions nous éloigner de ces thèmes de séparation, que j’ai traités en tant que producteur pour Le Conte de la Princesse Kaguya et Marnie et que Yonebayashi a réalisé avec Arrietty et Marnie. Nous sommes au même âge que Miyazaki et Takahata lorsqu’ils ont commencé, et maintenant que nous sommes parents de jeunes enfants, nous voulons avoir ce type d’histoire, des gens qui se rencontrent.

Lire aussi :   Marie et la fleur de la sorcière, le prochain film de Hiromasa Yonebayashi

Prenez-vous cela comme une chance d’essayer de nouvelles techniques d’animation ?

Hiromasa Yonebayashi: Je pense que cela dépend de ce que nous voulons transmettre à travers le film, du type de méthodes que nous utilisons et du type de technologies que nous utilisons. Il existe différentes méthodes d’expression. Ma pensée de base est que l’animation dessinée à la main est très bonne pour exprimer les émotions et les mouvements des personnages. Mais j’ai également ajouté des effets 3D et CG pour améliorer l’expérience du spectateur. C’est ce que j’ai appris en étant animateur pendant 20 ans au Studio Ghibli.
Dans Mary et la fleur de la sorcière, je voulais que Mary puisse être très active dans ses mouvements et montrer cela à l’écran, je pense que la méthode dessinée à la main fonctionnait bien pour cela. Il y a beaucoup de travaux d’animation qui utilisent les effets spéciaux numériques, mais nous avions beaucoup de membres du personnel qui étaient très talentueux dans l’animation dessinée à la main, et je voulais mettre en avant leurs points forts dans le film. Si j’essaie un autre type de sujet, je pourrais utiliser une autre technique dans le futur.

Il y a beaucoup d’éléments visuels dans Mary et la fleur de sorcière qui ressemblent à des références à des films de Ghibli comme dans Kiki, Le château ambulant et Chihiro. Est-ce que vous et vos animateurs avez fait des hommages délibérés ? Est-ce plus parce que vous travaillez avec les mêmes artistes ?

Hiromasa Yonebayashi: Ce n’est pas que nous pensions consciemment à créer un hommage à ces films précédents. Au Studio Ghibli, j’ai appris à faire bouger les choses d’une certaine manière, à penser à l’animation et aux personnages, en travaillant sous la direction de Miyazaki. Donc, je suis en quelque sorte ancré dans ce contexte. Beaucoup de créateurs qui ont travaillé sur ce film étaient aussi des gens qui avaient travaillé au studio. Nous sommes donc tous imprégnés de l’esprit du Studio Ghibli. Ça allait forcément ressortir.

L’une des choses qui distingue le plus ce film par rapport au Studio Ghibli, ceux sont les méchants. Les méchants de Ghibli se transforment habituellement en personnages amicaux, mais ce film a des gens avec des intentions vraiment mauvaises, qui font des choses terribles. Comment avez-vous pensé différemment vos antagonistes par rapport aux films précédents?

Hiromasa Yonebayashi: Dans mon esprit, ils ne sont pas nécessairement purement diaboliques. Ils ont leurs propres objectifs en tête et ils sont très concentrés sur eux. Mary veut se transformer, veut se changer de la fille qui manque de confiance, elle n’est pas satisfaite et veut quelque chose de plus fort. Les antagonistes veulent changer et transformer les autres, ce qui, selon eux, mènera au bonheur. Je pense que cela se rapporte au genre de choses que nous avons autour de nous aujourd’hui, où les gens essaient de changer d’autres personnes.
Par exemple, dans les écoles, nous pourrions enseigner ou forcer les élèves à penser d’une certaine manière plutôt que de permettre la liberté d’expression. En tant que parents, nous essayons de forcer certaines choses sur nos enfants en leur disant que ce qu’ils font n’est pas bon, et ils devraient se comporter de cette façon. Donc, je pense que la transformation des autres est finalement quelque chose que nous ne devrions pas faire. Nous devrions encourager les gens à se transformer. Mary et Peter dans cette histoire veulent se changer pour le mieux, et ils finissent par être en mesure de le faire. Et cela devient un moment très conflictuel. Je pense que le public peut peut-être arriver à cette idée, et laisser les gens qui veulent se transformer.

Lire aussi :   Liz et l'oiseau bleu de Naoko Yamada au cinéma mercredi



Vous avez réalisé trois films à ce stade, tous basés sur des romans de fantasy écrits par des femmes occidentales. Y a-t-il une connexion particulière ?

Hiromasa Yonebayashi: Je n’avais pas réalisé que tous ces auteurs étaient des femmes, donc ça doit être une coïncidence. Mais les trois histoires mettent en vedette une jeune héroïne qui est capable de faire le prochain pas dans sa vie. Donc, mon intérêt est cet instant où les jeunes ne peuvent pas faire une énorme transformation, mais font un petit pas pour grandir un peu plus, pour devenir un peu plus confiants, pour faire le prochain pas dans leur vie. Pour les autres, de leur point de vue, cela peut ne va pas forcément sembler un si grand pas. Mais pour eux, c’est une très grande chose de pouvoir le faire. J’aime faire face à cet instant où les personnages font ce changement. Et je pense que lorsque les téléspectateurs qui luttent avec leur propre vie voient ce genre d’histoire, cela les aide à avoir du courage, et cela a un sens pour eux.

Quelle est la prochaine étape pour le Studio Ponoc ? Avez-vous l’intention de faire plus de films qui ressembleront au Studio Ghibli ? Ou le studio veut-il se diversifier davantage ?

Yoshiaki Nishimura: Une chose que j’ai apprise du réalisateur Takahata est que le contenu décide quel genre d’expression utiliser. Si vous avez seulement une forme d’expression, cela devient simplement un style, plutôt qu’un ajustement avec le contenu. Cela dépend donc du type de matériel que nous traitons, du genre d’expression et du style que nous finissons par montrer. Notre héritage du Studio Ghibli nous fait croire en l’animation 2D. Mais ce n’est pas que nous rejetons l’animation 3D. Il peut y avoir un certain contenu qui serait bon pour une sorte de fusion de l’animation 2D et 3D.
Au Studio Ponoc, nous travaillons actuellement sur quatre courts métrages. L’un est dirigé par le réalisateur Yonebayashi puis trois autres réalisateurs travaillent sur les autres courts métrages. Mais nous sommes également déterminés à continuer à faire du long métrage. Et pour nous, les héros et les héroïnes sont les enfants pour lesquels nous réalisons les films. Nous voulons continuer à faire des films que les enfants et les adultes pourront regarder ensemble. C’est notre mission, et c’est ce que nous avons fait ressortir de nos expériences.

Quel est le plan de sortie de ces quatre courts métrages ?

Yoshiaki Nishimura: À l’heure actuelle, ce que nous allons faire avec ces quatre courts métrages n’est toujours pas divulgué. Quand nous serons prêts à l’annoncer, bien sûr, nous vous le ferons savoir !

Le film Mary et la fleur de la sorcière sortira au cinéma en France le 21 février.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *